Matière-Lumière

Matière-Lumière incarne le principe cosmique de la transformation de la matière par la lumière. Cette création s’interroge sur le processus de substantialisation depuis l’origine de la création et l’apparition de ses formes dans le règne minéral, végétal, animal jusqu’à l’humain et l’univers.

L’observation de l’interaction des quatre éléments primordiaux, l’eau, le feu (le soleil), l’air et la terre habite et anime depuis de longues années toute ma création. Les transitions de phase de l’eau, animés par des températures changeantes et par le vent, d’un état solide, la glace, vers un état liquide, l’eau, vers un état gazeux, l’Ether… m’ont fait prendre conscience d’un processus de transformations silencieuses, processus universel, révélation quasi mystique, qui se manifeste au plus profond de nous, au plus lointain de nous, à l’échelle infiniment petite et infiniment grande.

Pour pouvoir en témoigner et traduire l’expérience personnelle en message universel il me fallait accueillir une nouvelle forme cristallisant des approches artistiques de la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo en explicitant leur rapport et leur fusion avec la lumière.

Magiques par leur fusion avec la matière qu’ils recouvrent, similaires aux transitions de phase de l’eau (état solide, liquide et gazeux), j’ai été guidée vers les films plastiques. Ces films ont la particularité extraordinaire de transformer la matière par interaction avec la lumière, ils l’emplissent de lumière, en un tout que je nomme Matière-Lumière. Ainsi par absorption, transmission, réfraction et réflexion, la lumière anime et transmute ces créations en matières et formes changeantes, nous reliant ainsi à la vibration des temps archaïques, les esprits s’incarnent et apparaissent/disparaissent dans l’instant même. Une connivence forte entre les peintures de la préhistoire, ces gravures rupestres d’origine chamanique et mes empreintes, nées d’un processus quasi alchimique, ont d’ailleurs été souvent évoquées lors des échanges autour de Matière-Lumière. Telles des plaques de cuivre monumentales, les strates de couches de films de plastiques, devenu placenta de l’être humain, incarnent des gravures cytologiques et histologiques, visions de l’origine du monde dans le reflet d’une substance inconnue.

Les films plastiques portent en outre en eux un enjeu contemporain. Témoins de l’anthropocène, et issus de la transformation du pétrole créé au plus profond de la terre, ils contiennent du carbone né dans les étoiles et noyau essentiel de toute matière vivante sur terre.

Installation : Performance / Matière / Lumière, [ML-PM-19-0321], Paris, 2019

La substance originelle de ces films, recyclée sans fin et sans barrière d’espèces pour redonner la vie dans un processus d’un éternel recommencement, incarne ainsi la mémoire de centaines de millions d’années. Le pétrole, matière au cœur du drame écologique actuel, puits de carbone organique, détourné de son rôle protecteur de l’équilibre climatique, est transformé par l’homme en un matériau chimique inerte. Lorsque je transfigure ce matériau en œuvre d’art, il se régénère par son retour à la source redevenant organique et vivant… une transfiguration du traumatisme des destructions et des séparations dans notre monde, la victoire de la création sur la destruction, un retour au sacré, à la source, à l’unité…. Bien que ma création ne puisse pas être comprise comme filiation véritable, nombreux sont pourtant les rapprochements faits avec le mouvement Gutai. Ma quête de matérialiser la lumière et consubstantiellement d’animer et de spiritualiser la matière, exige une symbiose absolue de l’artiste avec la matière, une réconciliation de l’esprit et la matière, une conscience de l’unité. Le corps, jouant un rôle important dans le mouvement Gutai, est dans mon cheminement, devenu guide et empreinte principale dans la quête et dans le geste, force créatrice transmise dans ce processus de création en perpétuel devenir …

C’est la conscience de Matière-Lumière qui guide mon cheminement …

Une fois la substance brute réduite à son essence, elle devient le matériau de notre propre création.

« À présent que la lumière est née de moi et moi de la lumière, celle-la
me charge de parler pour elle, de travailler pour elle…On s’est rencontré,
par là transformée en sorteque la lumière est bien en moi. »
Inspiré d’un écrit de Shih T’ao, 1642 – 1707